Le Pr Demba Sow, technologue à l’ESP nous parle de l’arachide

Demba Sow enseigne la technologie des matières grasses à l’Ecole Supérieure Polytechnique (ESP). Dans cet interview, il nous parle de l’arachide, de sa production, de ses sous produits, de ses utilisations et des difficultés que rencontrent la filière. Il donne également des pistes de solution.

Publié le 3 novembre 2015

L’arachide est à la fois une culture vivrière et une culture de rente. Sa graine est nourrissante car elle est riche en protéines, en matières grasses et en sels minéraux essentiels ; sa consommation peut remplacer valablement un repas ordinaire. La qualité alimentaire de ce produit agricole est la cause du nombre élevé de plats cuisinés avec de l’arachide ou de ses dérivés au Sénégal et dans les pays de la sous région.

L’arachide rapporte également de l’argent a beaucoup de monde ; pour certains, pendant la campagne de commercialisation (producteurs, transporteurs, stockeurs), pour d’autres, toute l’année (Etat, industriels, commerçants, vendeurs de tiaffes,…).
C’est pour ces raisons que cette spéculation a été adoptée facilement et rapidement par le Sénégal dès son introduction dans le pays par le colonisateur. On pourrait se demander ce que serait le Sénégal sans l’arachide. Grâce à cette oléagineuse, le Sénégal a accueilli des milliers de migrants venant du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso. Cet apport de populations d’origine diverse a été un enrichissement inestimable de notre pays. Ceux qui s’attaquent à l’arachide ignorent certainement son apport et son rôle alimentaire et économique au Sénégal. On ne jette rien de cette plante.

La fane, riche en protéines, est un aliment complet pour le bétail comme la graine l’est pour l’homme. La coke, très riche en cellulose, est un combustible qui a un excellent pouvoir calorique et est également utilisée comme matière première pour la fabrication d’aliments du bétail. La farine, produite lors du décorticage des gousses, est un excellent aliment du bétail. La pellicule de la graine n’est pas sans intérêt car elle est utilisée comme matière première pour la fabrication d’aliments du bétail.

L’autre particularité importante de l’arachide est qu’elle est une légumineuse. Elle fixe l’azote atmosphérique et donc enrichie les sols pour les prochaines cultures tel que le mil. Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, l’arachide n’est pas une cause de déboisement plus que les autres spéculations. La culture du blé, de la betterave, du mais et du mil nécessite plus de déboisement que celle de l’arachide.

Campagne de commercialisation

Les autorités devraient instruire les huiliers à activer leurs points d’achat habituels dans les communes plus rapidement. Cette anticipation limiterait considérablement le bradage des récoltes et permettraient aux agriculteurs de bénéficier de prix rémunérateurs. Le bradage des récoltes est un facteur d’aggravation de la pauvreté rurale et d’encouragement de la délinquance économique.

L’Etat, la SUNEOR et les autres huiliers sont les acteurs qui pourraient rendre possible cette anticipation qui est de nature à sécuriser le revenu des paysans.

L’Etat devrait aussi indiquer la voie en fixer les échéances aussi bien pour le financement de la campagne que l’ouverture des points d’achat des huiliers. Pour boucler le financement de la campagne, l’Etat devrait très tôt donner les garanties bancaires pour éviter les retards qui sont très préjudiciables à la filière dans sa globalité.

La SUNEOR devrait être plus active et plus entreprenante dans la campagne de commercialisation de l’arachide. Dès le mois d’octobre, l’entreprise devrait activer son service commercial pour être prêt à faire fonctionner ses points d’achat à travers le pays, à la date convenue pour le démarrage de la campagne de commercialisation de l’arachide. Si la SUNEOR et les autres huiliers avaient effectué les investissements nécessaires, elles seraient capables d’acheter et de triturer l’essentiel de la production nationale arachidière. Économiquement, le Sénégal n’a aucun intérêt à exporter ses graines.

C’est un non sens économique que d’exporter des matières premières en ce 21ème siècle. L’Etat ne devrait pas privilégier l’exportation des graines pour régler les problèmes de la campagne arachidière. La meilleure solution pour la filière arachidière et l’économie nationale serait la trituration sur place de la totalité de la production dans nos huileries puis l’exportation de l’excédent de l’huile après la consommation nationale. Le Sénégal devrait augmenter sa capacité de trituration de l’arachide avec son ambition de relancer la filière arachidière. C’est pourquoi, sans délai, la Sunéor devrait réhabiliter ses usines de Kaolack, de Ziguinchor, de Diourbel et de Dakar.

Le financement nécessaire serait certes lourd compte tenu du niveau de dégradation des équipements de trituration et de raffinage. La participation de l’Etat dans l’œuvre de rénovation des huileries pourrait être obtenue à condition que la Sunéor fasse preuve de plus de patriotisme et d’engagement dans la filière arachidière. La vocation de la Sunéor n’est pas d’importer et de commercialiser de l’huile mais de triturer les graines d’arachide et de mettre l’huile à la disposition des consommateurs sénégalais. L’huile que la Sunéor importe n’est pas adaptée à la haute température de notre cuisine. Telle que nous l’utilisons elle peut nuire à la santé du consommateur. Il est urgent que les sénégalais retrouvent l’huile d’arachide dans les boutiques de ravitaillement. Il est aberrant qu’on cultive de l’arachide au Sénégal et qu’on ne le retrouve pas dans nos boutiques.

La dynamisation de la filière arachidière est créatrice de plusieurs milliers d’emplois en amont et en aval. Le rôle de la Sunéor dans la relance de la filière arachidière est fondamental et primordial.

Dans le cadre de la lutte contre le chômage, notamment celui des jeunes, la réhabilitation des usines et la redéfinition de la mission et des objectifs de la Sunéor, devraient être envisagées et priorisées. Une telle politique réussie préserverait et créerait des milliers d’emplois. La disparition quasi programmée des usines de la Sunéor serait une catastrophe pour notre pays sous tous les angles.

Les semences

La reconstitution des semences est en cours et l’optimisme est permis. L’Etat et ses partenaires sont en train de faire un excellent travail dans ce domaine. Cependant, il faudrait attendre encore plusieurs années avant d’avoir suffisamment de semences certifiées pour tous les arachiculteurs.. En attendant ce moment assez lointain, il faudra prendre les mesures nécessaires pour sélectionner les meilleures graines en début de campagne de commercialisation de l’arachide pour constituer le capital semencier de l’hivernage prochain. Des méthodes scientifiques bien maîtrisées par les techniciens et agronomes existent pour bien conduire la sélection des semences écrémées. Le test de germination serait un moyen de garantir à l’arachiculteur qu’il a reçu des semences écrémées de bonne qualité.

Les semences distribuées aux paysans ne doivent plus être appréciées quantitativement seulement mais qualitativement aussi. Le prix de vente des semences devait alors être indexé à leur pouvoir germinatif. En cette période de réforme de notre agriculture, il est raisonnable d’envisager de changer des pratiques qui plombent la filière arachidière. La distribution de semences écrémées sans test de germination est un facteur d’arriération de la filière arachidière. Cette méthode doit être abandonnée dès cette année si les autorités gardent leur ambition de rendre l’agriculture plus performante afin qu’elle tire l’économie vers plus de croissance.

La faible performance de notre agriculture est liée à beaucoup de facteurs dont les semences de mauvaise qualité. Pour toute production végétale, sans semences certifiées, point de rendement élevé. Les semences d’une agriculture performante doit être systématique certifiées. Il n’est pas recommandé et recommandable de prélever ses semences de sa propre récolte. On doit donc arrêter de demander aux paysans de garder des graines de leurs récoltes comme semences. C’est une pratique digne d’une agriculture de subsistance et ce n’est plus le cas au Sénégal.

Les semences certifiées ou non doivent être conservées dans des conditions de température et d’humidité convenables. C’est rarement le cas au Sénégal et c’est certainement pour cela que les paysans ont des problèmes récurrents de germination de leurs graines. Tout effort dans la mise à disposition de semences certifiées aux paysans est de natures a booster la culture de l’arachide. L’Etat, les huiliers, les associations d’agriculteurs comme le CNCR, l’Union Nationale des Coopératives du Sénégal, les instituts de recherches agricoles et les universités devraient prendre ce volet en charge de façon synergique.

Les aflatoxines

Les aflatoxines sont des molécules très toxiques synthétisées par des moisissures. Les produits agricoles support de la synthèse de ces toxines sont nombreux. Au Sénégal, l’arachide et le maïs sont les principaux produits incriminés. Toutefois, on ne doit pas exclure les autres céréales (riz, mil, sorgho, fonio,…) et fruits secs.

Pour limiter la contamination des graines d’arachide en aflatoxines, il est nécessaire de sensibiliser les paysans pour qu’ils appliquent les bonnes pratiques culturales et de stockages du produit. La blessure des gousses au moment de la récolte favorise le développement de la moisissure productrice de la toxine. On doit sensibiliser les producteurs à éliminer toutes les gloussent blessées au moment du vannage. Les gousses touchées par les termites doivent également être éliminées.

La période de stockage est un moment favorable à l’infestation des gousses par la moisissure dans certaines conditions de température et d’humidité. Des températures et humidité élevées sont favorables à la production d’aflatoxines pendant le stockage.

Pour la santé du consommateur, les magasins et abris de stockage des graines destinées aux huileries industrielles ou artisanales doivent être surveillés mais c’est rarement le cas dans la pratique. Le travail de sensibilisation des paysans à l’aflatoxine est d’autant plus efficace qu’il est fait précocement.

Les pesticides

Les insectes apprécient l’arachide autant que les hommes. C’est pourquoi sa conservation nécessite des traitements chimiques préventifs précoces. Les pesticides utilisés doivent être des produits autorisés par la direction de l’agriculture ou tous autres services compétents. Les pesticides sont aussi dangereux que les produits pharmaceutiques et vétérinaires. Compte tenu de la toxicité de ces produits pour l’homme, pour les animaux et pour les végétaux, les autorités compétentes devraient accorder plus d’attention à la commercialisation et à l’utilisation de ces produits par les paysans, qui, pour la plupart, sont analphabètes. Des séances de formation pilotées par l’ANCAR et la DPV en ce début de campagne commerciale de l’arachide pourraient être initiées. Une mauvaise utilisation des pesticides est un acte d’auto-empoisonnent et d’empoisonnement des consommateurs.

L’huile artisanale ou huile Segal

L’huile artisanale appelée en langue nationale huile Segal est obtenue à partir de graines d’arachide broyées, chauffées et soumises à une forte pression pour libérer l’huile qu’elles contiennent. La même technique de trituration est utilisée en industries huilières. L’huile artisanale n’est pas raffinée contrairement à l’huile industrielle. Le raffinage consiste à éliminer les impuretés mucilagineuses, à désacidifier, à décolorer et à désodoriser l’huile brute. Ce traitement permet également d’éliminer des composés plus ou moins dangereux tels que le cholestérol et les aflatoxines.

L’huile Segal est un produit très consommé au Sénégal, interdite ou non, dans les villes et dans les villages. Le coût élevé de l’huile importée et les mauvaises campagnes de commercialisation de l’arachide successives sont les causes du succès de l’huile Segal auprès des consommateurs.

L’huile Segal n’est pas de bonne qualité car elle est colorée, acide, a une mauvaise odeur, un mauvais goût, contient des phosphatides et un peu de cholestérol. Cependant, c’est une huile consommable par l’homme car ses impuretés ne sont pas toxiques. Lorsque l’huile contient des taux d’aflatoxines qui dépassent les normes, l’huile Segal devient alors toxique et donc impropre à la consommation humaine.

Les paysans et opérateurs qui produisent de l’huile Segal devraient être formés à la bonne pratique de trituration des graines d’arachide. Avant le broyage, les graines doivent être soigneusement triées pour éliminer celles qui sont contaminées par les moisissures. L’huile Segal sans aflatoxines est une huile propre à la consommation humaine mais obtenir de l’huile Segal sans ces toxines est très difficile au Sénégal compte tenu des conditions de conservation des graines et du manque de professionnalisme des artisans huiliers.

L’ITA a mis au point une méthode efficace d’élimination de l’essentiel des aflatoxines contenues dans l’huile Segal. Quant à la SUNEOR, elle propose aux artisans l’achat de leur huile Segal pour la raffiner avant de la commercialiser.

Pour la santé des consommateurs sénégalais, face aux aflatoxines particulièrement cancérigènes, l’Etat devrait s’intéresser encore plus à l’huile Segal. Cette période de maturation des graines d’arachide pourrait être mise à profit pour clarifier la vision et la position des autorités par rapport à l’huile Segal. Personne ne sait si le Segal est autorisé ou non. C’est en cette période anté campagne de commercialisation que l’Etat devrait se faire entendre sur l’huile Segal.
Avec les bonnes récoltes de cette année, le marché pourrait être inondé d’huile Segal avec tous les risques sanitaires possibles.

Beurre d’arachide ou Tiga Dégué

Le beurre d’arachide est obtenu à partir de graines grillées et broyées finement entre 2 cylindres dont un est mobile. La pâte obtenue est quasi fluide et est utilisée dans la fabrication de divers mets sénégalais. Si le beurre d’arachide a été fabriqué à partir de graines exemptes d’aflatoxines, le beurre est propre à la consommation humaine. Mais souvent, les graines utilisées comme matière première sont fortement contaminées par l’Aspergillus flavus, moisissure productrice d’aflatoxines. Compte tenu de la toxicité des aflatoxines et des quantités de pates d’arachide consommées par les sénégalais, le moment est propice pour inviter les producteurs à trier les graines préalablement avant le broyage pour minimiser les taux de la toxine dans le produit. Pour la santé des consommateurs, le Laboratoire du Commerce Intérieur devrait être instruit pour effectuer régulièrement des recherches d’aflatoxines dans les pâtes d’arachide vendues sur les marchés et mais aussi dans les produits industriels cholâtes.

Tourteaux d’arachide

Les tourteaux d’arachide sont les résidus solides après l’extraction de l’huile par pression ou par solvant. Ils sont très riches en matières azotées et sont donc d’excellents compléments d’alimentation du bétail mais les tourteaux d’arachide contiennent en général beaucoup d’aflatoxines, taux d’autant plus élevé que les graines et les tourteaux sont conservés dans des conditions de températures et d’humidité élevées.

Il faut sensibiliser les artisans huiliers producteurs de tourteaux pour qu’ils de veillent à la bonne conservation des graines à triturer et les écailles dégraissées destinées à l’alimentation animale en cette année de bonnes récoltes.

Il est souhaitable aussi que les éleveurs, grands utilisateurs de tourteaux, soient informés des risques liés à ces compléments alimentaires. La consommation de grandes quantités de tourteaux peut entraîner l’intoxication des animaux. Le lait des laitières nourries avec ces tourteaux contaminés contient des aflatoxines sous une forme plus toxique et peut provoquer l’intoxication du consommateur.

Source : Zoominfos