La laiterie du berger en quête d’identité

Alors que ses concurrents importent massivement, l’entreprise s’approvisionne en lait sénégalais. Un choix qui affecte peu les ventes et lui impose des défis complexes.

Publié le 13 janvier 2017

Lorsqu’en 2006 Bagoré Bathily fonde La laiterie du berger, il veut mettre fin à un paradoxe : alors que les éleveurs peuls manquent de débouchés, la quasi-totalité du lait consommé au Sénégal vient de l’étranger, sous forme de poudre. Sa société reposera donc entièrement sur un modèle d’approvisionnement local.

Mais la tâche se révèle plus complexe que prévu. Si l’entreprise parvient à se hisser au rang de numéro deux des produits laitiers au Sénégal, derrière la marque Ardo, du groupe local Satrec, spécialisé dans le conditionnement de lait en poudre, elle se fait vite rattraper par son succès. « Même avec une croissance continue de la collecte, on ne pouvait pas suivre. Le temps agricole n’est pas celui des villes », admet Bagoré Bathily, qui nous reçoit chez lui, à Dakar.

Des importations pour palier la baisse de productivité

La contrainte de cet entrepreneur de 40 ans est double. À cause de carences alimentaires et pour des raisons génétiques, la productivité des vaches sénégalaises est faible (300 litres par an, contre 7 000 litres pour les races européennes).

De plus, la collecte se limite à un rayon de 50 km autour de l’usine, située à Richard-Toll, en plein cœur de la région agricole du fleuve Sénégal, où vivent 40 % des éleveurs peuls et où l’eau et les fourrages sont disponibles. Dépasser ce périmètre serait prendre le risque de dégrader à la fois la matière première et la rentabilité – sans compter le transport, le lait de collecte coûte cette année 15 % plus cher qu’un produit importé.

Forcément, lorsque les ventes ont bondi de 100 % chaque année entre 2009 et 2013, le lait local n’a plus suffi. Pour continuer à croître, La laiterie s’est alors résignée à importer, tout en préservant ses fournisseurs locaux, représentant 800 familles d’éleveurs. Aujourd’hui, environ 30 % de ses besoins en lait proviennent de l’étranger. Une proportion qui a même atteint 50 % en 2014 en raison d’une grave sécheresse. La décision a été prise en concertation avec les actionnaires, dont Danone Communities.

En moins de dix ans, le chiffre d’affaires a été multiplié par 15 passant de 200 millions de F CFA (305 000 euros) en 2007 à quelque 3 milliards de F CFA en 2015

Laiterie du Berger puis Dolima

Créé par le géant de l’agroalimentaire pour soutenir des projets de lutte contre la pauvreté et la malnutrition, ce fonds d’investissement est entré dans le capital de l’entreprise sénégalaise dès 2009 – il en détient 24 %. Et c’est sous sa houlette que la jeune société a surmonté un autre obstacle à son développement : sa méconnaissance du marketing.

« Danone Communities a aidé à rationaliser la gamme, qui comprenait de nombreux produits. C’était trop complexe pour si peu de volumes. Nous avons aussi aidé à créer la marque Dolima », explique Corinne Bazina, directrice générale de Danone Communities. Deux ans après avoir commencé à produire, la société a ainsi abandonné progressivement sa marque La laiterie du berger et son positionnement premium au profit de Dolima, « grand public et accessible à tous », souligne Bagoré Bathily.

Elle s’est d’abord focalisée sur le yaourt, avant de développer d’autres recettes. Cette nouvelle marque permet aujourd’hui à La laiterie d’atteindre des volumes suffisants pour se rapprocher enfin de l’équilibre financier – prévu pour 2015 et repoussé à 2016 en raison d’un redressement fiscal de 150 millions de F CFA (plus de 228 000 euros).

La maison mère du groupe français, devenue elle-même actionnaire en 2012 (lire ci-dessous), appuie également La laiterie dans sa stratégie promotionnelle. Dolima joue la carte d’une marque « sympathique » et très « sénégalisée ». C’est le marketing ainsi que son prix qui ont, bien plus que l’argument local, contribué à son succès : seuls 12 % des clients savent que Dolima utilise le lait des éleveurs peuls.

Lutte contre la malnutrition, industrialisation et augmentation des volumes

Mais La laiterie ne tire pas un trait sur son leitmotiv local. Elle entend développer l’aspect nutritionnel des produits Dolima avec plus de protéines et de fibres dans un pays touché par de fortes carences alimentaires. Un premier pas a été franchi avec le lancement en 2013 d’un thiakry, recette traditionnelle qui contient 30 % de mil. « Nous réfléchissons à nous étendre au-delà de la chaîne du froid à l’horizon de 2020, à développer les céréales locales et les biscuits », poursuit Bagoré Bathily.

Parallèlement, l’usine de Richard-Toll, qui fabrique sept tonnes de produits laitiers par an, va transformer plus de lait. Une ferme-pilote réalise ainsi des croisements de races pour augmenter la productivité et forme les éleveurs à mieux nourrir leurs bêtes.

À terme, ces derniers pourront créer de mini-fermes. De plus, une installation industrielle ainsi que la construction de centres de collecte sont envisagées. Grâce à un premier traitement avant le transport vers l’usine, La laiterie pourrait s’affranchir de la barrière des 50 km, faire travailler plus d’éleveurs et augmenter sensiblement les quantités de lait sénégalais transformé dans son usine.

Les volumes supplémentaires devront permettre à la fois d’assurer la croissance de Dolima et de lancer une deuxième marque 100 % lait de collecte, comme un retour aux origines. Depuis un an, une gamme de yaourts et de lait frais est ainsi testée auprès de 300 clients, livrés à domicile. Un positionnement très haut de gamme, qui promet une rentabilité deux fois supérieure à celle de Dolima. « C’est bien notre style de faire ce genre de grand écart », s’amuse Bagoré Bathily, satisfait de retomber ainsi sur ses pieds.

Priorité aux investisseurs du cru

Investisseurs et Partenaires, dirigé par l’ancien directeur de l’Agence française de développement Jean-Michel Severino, qui a financé La laiterie dès ses débuts, est en train de céder sa participation de 7 %. Les acheteurs sont des investisseurs locaux. Parmi eux, la Compagnie sucrière sénégalaise – située à Richard-Toll et qui lui fournit des fourrages – a racheté 2 %. Bagoré Bathily, dont la famille possède 25 % du capital, tient à protéger l’ancrage sénégalais de la société. De fait, si Danone – qui compte déjà dans son portefeuille des pépites locales à fort potentiel – détient 44 % de l’entreprise, sa part n’a pas vocation à augmenter.

Source : jeuneafrique